Aubène Traoré
À Deuil-la-Barre, le 23/12/24
La consultation publique de psychanalyse, nommée CPP, est un dispositif mis en place au RPH par le docteur Fernando de Amorim. Ainsi, le dispositif de la CPP s’est constitué dans la lignée de la première policlinique ouverte par Max Eitingon, Karl Abraham et Freud en 1920 où des patients étaient reçus en traitement psychanalytique, selon leurs moyens.
À Paris et en banlieue, le désir et l'engagement des cliniciens du RPH responsables d'une CPP, permet à toutes personnes en souffrance de régler ses séances à hauteur de ses moyens. En cela, qu'une personne soit étudiant, chômeur, en arrêt de travail, ou en difficultés financières, l'entrée en psychothérapie reste possible. Il s'agit là d'une position clinique. Elle offre la possibilité aux patients et psychanalysants d'engager à leur tour leur désir. Chacun est alors reçu par un psychothérapeute, un psychanalyste, un clinicien, formé avec exigence, avec autant de considération et de dignité qu'une personne qui règle ses séances au montant usuel.
Malgré cette offre clinique engagée et généreuse, certains et certaines réclament des justificatifs de paiement afin de se faire rembourser. Par qui? La mutuelle, la sécurité sociale: " C'est mon droit! " s'écrit l'égo avide de dépendance, refusant l'offre d'autonomisation que le clinicien lui présente par un " Non je ne vous donnerai pas de facture ".
Qu'est-ce que cela implique lorsque les services sociaux, l'État, les contribuables prennent financièrement en charge les larmes, la tristesse, la colère, les rancoeurs, les blessures exprimées dans la cure de Madame Y ou de Monsieur X ? Qu'est-ce que ce positionnement de débiteurs des mutuelles et de la caisse d'assurance maladie vient signifier au Moi du patient ou du psychanalysant? Est-ce pour son bien que le Moi se réclame d'une position de créancier lorsqu'il a fait l'expérience de dire librement ses pensées, d'être vraiment écouté pour apaiser sa souffrance ?
Bien que salvateur dans certains domaines*, ce système de remboursements des soins psychiques renforce l'égo déjà aliéné, déjà dépendant. L'indemnisation valide le Moi qui ne veut pas grandir, et l'encourage à rester collé aux jupons de sa mère patrie.
Dès lors, avide de se remplir sans jamais risquer de perdre, l'abus et l'ingratitude ne font pas peur au Moi: les quelques euros engagés doivent être remboursés! Bien que l'angoisse se soit dissipée, bien que pour la première fois une épreuve scolaire soit couronnée de succès, ou que les relations sexuelles soient devenues possibles et agréables, face au " Non, je ne vous donnerai pas de facture ", les effets de la cure sont balayés d'un revers de l'égo : "je regrette d'êtrê venu vous consulter!" dit l'un, "Je veux mon argent! " crie l'autre.
Lorsque le Moi réclame son (soi-disant) dû, et refuse de porter la responsabilité du règlement de ses consultations, il s'empêche de s'attribuer les effets de son propre labeur, de reconnaitre sa responsabilité dans son succès. Le Moi dépense beaucoup d'énergie psychique à fuir la castration, le manque, la perte.
En tant que psychanalysante, je peux témoigner de la justesse de la formulation du docteur de Amorim: "L’action de payer son traitement est une manière de se faire un cadeau, d’investir sur soi** ". Pourtant, la clinique nous montre que, souvent, le Moi ne supporte pas de s'aimer, de s'accorder de l'importance, de reconnaitre une valeur à la parole de l' Être.
Engagé dans sa propre psychanalyse, un clinicien du RPH, accepte la castration imposée par cette réalité humaine et clinique. Il est donc conscient que l'offre clinique de la CPP n'a pas vocation à sauver tout le monde. Quand le moi ne veut pas grandir, et qu'il refuse par la même de " construire sa responsabilité de construire aussi sa destinée***", sereinement, le psychothérapeute ou le psychanalyste du RPH continue à engager son désir et tient sa position de clinicien: " non je ne vous donnerai pas de facture ".
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*En médecine, le réel de l'organisme peut justifier que l'accès aux soins puisse, dans l'urgence, être pris en charge par les contribuables.
** Amorim (de), F. (2024). Du remboursement psychothérapeutique à la fracture sociale , consulté le 23 Décembre 2024
***Amorim (de), F. (2024). De la place de l’analyste à la position de psychanalyste, consulté le 23 Décembre 2024